Les IA qui apprennent un peu comme des élèves

Andrej Karpathy (1) a publié il y a quelques mois une longue vidéo (3 heures 30 !) sur le fonctionnement des modèles de langage tels que chatGPT (LLM : large language model). Au cours de cette vidéo, il utilise une analogie, que je trouve parlante, sur les différents types d’apprentissage de ces modèles : apprendre pour une IA, ce serait un peu comme apprendre pour un élève :

1) Lire le cours
C’est la première phase : le pré-entraînement. L’IA “lit” des tonnes de textes (livres, sites universitaires, encyclopédies, etc.). Elle apprend à reconnaître des structures, des phrases, des concepts. Comme un élève qui lit son manuel pour se familiariser avec les bases. A cette étape, elle ne fait qu’ “ingurgiter” l’information lue.
Bien sûr, analogie oblige, ce vocabulaire est très anthropomorphique et il serait plus correct de dire qu’à cette étape, on cherche un programme capable de prédire le mot suivant lorsqu’on lui donne un début de texte, ce qui nécessite d’encoder des régularités statistiques dans les structures, les phrases, les concepts. J’ai fait une animation pour bien comprendre ce qui se passe dans cette phase de “pre-training”, vous la trouverez ici : https://espritcritique.fbfb.eu/fonctionnementLLM/
A l’issue de cette étape, un modèle de langage est presque inutilisable. Il a ingurgité les données mais ne saurait pas les “communiquer”. Par exemple, il risque de prédire que le texte qui vient à la suite d’une question est une autre question car, dans ses données d’entrainement, les questions viennent souvent par listes. Il faut donc passer à la deuxième étape.

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Les entretiens du SEM : esprit critique et numérique avec Elena Pasquinelli

Elena Pasquinelli a donné la conférence inaugurale du colloque PraTIC : “Esprit critique et numérique, quand Turing rencontre Piaget” le mercredi 2 avril 2025. La philosophe et chercheuse en sciences cognitives a analysé les atouts et limites de notre esprit critique naturel, ainsi que les stratégies éducatives pour mieux l’armer face aux défis contemporains. Nous avons profité de sa présence exceptionnelle à Genève pour converser avec elle avant la conférence. Nous avons enregistré cet “entretien du SEM” un peu particulier car sans public ! Elena Pasquinelli nous propose son éclairage sur l’enseignement de l’esprit critique et sur les liens avec le numérique dans une vision, vous l’entendrez, résolument optimiste !

Bonne écoute.

 

Pour aller plus loin :

université populaire “esprit critique”, cycle de conférences

courte présentation de la guillotine de Hume

 

Crédit image : https://fondation-lamap.org/elena-pasquinelli

Quand les IA génératives sont-elles utiles ? (P versus NP ?!)

Les IA génératives sont impressionnantes, mais on sent que leur utilité varie selon les contextes. Une première idée serait de ne les utiliser que dans les domaines dans lesquels on est expert. Mais il me semble que, plus précisément, les IA  génératives sont utiles dans les situations où vérifier est plus simple que produire.

Écrire un texte peut prendre des heures, mais repérer une incohérence ou une faute de style se fait souvent en quelques secondes. De même, générer un code informatique complexe est une tâche ardue, mais tester s’il fonctionne est souvent immédiat; Dans les situations où il y a une telle asymétrie, les IA peuvent proposer une solution rapide, et l’on tranche en un instant si c’est correct et pertinent ou non.

Cela signifierait que les IA ne sont pas utiles à tous pour les même taches. A titre personnel, je les utilise énormément pour coder (il faudra d’ailleurs que je vous en parle: la possibilité de créer en quelques heures des activités numériques pour les élèves me semble un changement potentiellement profond dans l’enseignement !). Pour cet article, créer une image d’illustration aurait pu être un véritable casse-tête, mais vérifier que l’image générée par chatGPT convient – d’après le prompt: “Génère une image qui montre un robot qui donne une copie à un humain qui semble sur le point de la vérifier” – est d’une simplicité enfantine (j’en profite pour créditer l’image!). Les IA génératives sont également très efficaces pour la génération d’idées, toujours suivant la même règle: c’est généralement facile d’évaluer la pertinence et l’intérêt des idées présentées, mais difficile de les avoir.

Peut être que le principe “utilisez des IA génératives dans les cas où vérifier est plus simple que produire” pourrait aider nos élèves à faire un meilleur usage des IA ? Ce n’est qu’une hypothèse, à discuter et tester !

Post-scriptum :
Nos lecteurs informaticiens trouveront probablement que cela rappelle le problème ouvert “P = NP ?”, et si vous trouvez cela intrigant, je vous recommande cette vidéo de sciences étonnantes:

Dopamine, pour mieux comprendre les réseaux sociaux

Vous vous sentez parfois un peu perdu·e devant tous ces réseaux sociaux? Vous souhaitez pouvoir comprendre certains des mécanismes qui sont à l’œuvre derrière quelques-unes des applications que l'on utilise au quotidien? Vous aimeriez pouvoir sensibiliser vos élèves ou même vos enfants face aux stratégies agressives mises en place pour nous rendre accros? Ou tout simplement comprendre pourquoi c'est si difficile de lâcher son téléphone pour lire un chapitre de ce livre que vous aimeriez tellement lire mais que vous n'arrivez jamais à lire?

Au travers de courtes vidéos ludiques et dynamiques, Dopamine, la série d'Arte, propose une exploration des réseaux sociaux les plus utilisés chez les jeunes. Instagram, Tiki Tok, Snapchat ou encore YouTube... chaque application a développé un trésor d'ingéniosité pour nous rendre captives et dépendants, en développant différents mécanismes qui stimulent la production de dopamine, ce neurotransmetteur à l'origine de nos actions.

Allez, encore une petite vidéo... allez j'envoie vite ce message... allez, encore un niveau à Candy Crush...

Pourquoi est-ce si difficile de lâcher son téléphone? Une partie de la réponse dans les vidéos d'Arte, à voir et revoir!

Et si ces quelques vidéos vous donnent envie d'aller un peu plus loin, nous ne pouvons que vous recommander l'excellent livre de Max Fisher, Chaos Machine, qui est le fruit d'années d'investigations sur les mécanismes et les effets des réseaux sociaux... c'est tout simplement hallucinant!

[Cet article a été écrit sans recourir à des IA génératives]

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Les jeunes, leurs smartphones, les médias: JAMES vous dit tout

Les usages des jeunes en matière de médias et de numérique font l’objet d’une attention soutenue, c’est un euphémisme. Pour qui s’intéresse à cette vaste et complexe question, l’étude JAMES (pour Jeunes Activités Médias – Enquête Suisse) constitue une source de choix. Tous les deux ans depuis 2010, celle-ci cartographie les habitudes des 12 à 19 ans dans les trois régions linguistiques de la Suisse. Commanditée par un grand opérateur de télécommunications, elle est réalisée par une équipe de la School of Applied Psychology de l’Université de Zurich sur la base d’un échantillon de 1183 personnes.

JAMES mesure non seulement les usages (utilisation du téléphone portable, réseaux sociaux, « consommation » d’information et de médias en général, jeux vidéos, messagerie, …), mais aussi l’accès aux services (abonnements, services de streaming, …) et aux équipements, en relation avec différentes variables comme l’âge, le genre, la région linguistique, le lieu d’habitation (ville/campagne), l’origine et le statut socioéconomique de la famille. Pour ce qui est du smartphone, par exemple, les personnes interrogées ont dû indiquer non seulement la durée d’utilisation, mais aussi les fonctions principales de cet appareil dans leurs pratiques quotidiennes, ou encore les applications les plus fréquemment utilisées. Des aspects moins directement liés aux médias et au numérique sont également traités, à travers une série de questions sur les loisirs en général, ce qui offre une intéressante mise en perspective. Les risques associés au numérique, notamment le (cyber)harcèlement, sont également abordés.

JAMES 2024 : l’IA arrive de manière rapide et massive

Les résultats de JAMES 2024 sont disponible depuis quelques semaines. La dernière étude ayant été menée en 2022, il s’agit de la première édition à aborder les outils d’intelligence artificielle. Les chiffres confirment que les jeunes Suisses et Suissesses ne font pas exception : comparativement à d’autres services en ligne, les outils d’intelligence artificielle ont été adoptés rapidement et massivement. 71% des jeunes ont expérimenté ChatGPT ou un autre outil d’IA et 34% des jeunes l’utilisent au moins une fois par semaine (p. 75). La question de la source d’information de prédilection constitue un enjeu majeur. Relevons que les 18-19 ans s’informent plus fréquemment en recourant à Wikipedia (34% au moins une fois par semaine, p. 41) qu’aux applications d’IA (27%). Dans ce domaine, la part du lion revient aux moteurs de recherche : 86% des jeunes (tous âges confondus) les utilisent tous les jours ou plusieurs fois par semaine dans le but de s’informer. Ce pourcentage s’élève à 57% pour les réseaux sociaux, 25% pour Wikipedia et à 22% pour les applications d’IA.

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ChatGPT et l’IA générative, deux ans après

Deux ans après la sortie mondiale de ChatGPT, le 30 novembre 2022, le paysage numérique ainsi que les pratiques qui lui sont liées ont énormément évolué. Petit tour d’horizon des changements passés et présents.

Les outils

Dans un premier temps, ChatGPT était sur toutes les lèvres et le grand public découvrait avec stupeur (parfois accompagnée de vertiges existentiels ou professionnels) le potentiel énorme des LLM (large language models), ces IA génératives capables de générer à peu près n’importe quel type de texte de manière convaincante.

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Quatre mini-conférences en ligne proposées par Compilatio

En deux ans, les établissements académiques ont-ils (vraiment) réussi à s’adapter aux IA génératives ?

C’est sous ce titre que Compilatio [1] propose à ses utilisatrices et utilisateurs une série de quatre conférences en lignes.  Autant de rendez-vous au format compact (quarante-cinq minutes), entre le 25 et le 29 novembre, toujours à 15 heures.

Permettons-nous de regretter, au passage, le manque de parité face au micro (quatre intervenants pour une seule intervenante), mais relevons néanmoins l’originalité de certains titres. Deux d’entre eux piquent particulièrement la curiosité, entre hommage à Jacques Brel (“Mais non, Jef, t’es pas tout seul!”) et punchline inspirante de Bergson (“Le futur n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous en ferons”).

Selon vos centres d’intérêts, votre choix se portera peut-être sur une première intervention à propos des enjeux liés à l’écriture, ou sur une autre proposant plus généralement des pistes pour repenser l’école dans un monde marqué par les IA génératives. Un orateur issu de l’Université Jean Moulin Lyon 3 livrera un témoignage sur la mise en place d’une politique de prévention dans cette institution. La dernière intervention, elle, se penchera sur la question brûlante de l’évaluation des travaux d’élèves.

Un programme riche et varié, donc, que l’on ne peut que recommander!

Programme et inscription (gratuite mais obligatoire) sur le site de Compilatio. Places limitées.

[1] Compilatio est le nom de la société à l’origine de Magister+, le logiciel de détection du plagiat accessible pour l’ensemble des enseignantes et enseignants du Secondaire II genevois via le portail eduge.ch L’offre de formation en ligne du SEM comprend un cours sur l’utilisation de Magister+ et un autre sur la prévention du plagiat en général. N’hésitez pas à consulter également la page Faire face au plagiat dans un contexte numérique.

Illustration: une vision dystopique due à Dall-E

IA et fausses informations

On savait que l’arrivée de chatGPT venait avec un risque de voir pulluler de fausses informations, bien rédigées et plus difficiles à “débunker”. Articles, podcasts, vidéos, on a l’impression qu’aucun média n’est épargné ! Voici quelques exemples :

Face à la difficulté d’évaluer la qualité d’une information, il apparaît de plus en plus urgent de former nos élèves à l’esprit critique. Il est essentiel que tous prennent conscience des biais inhérents à la cognition humaine et soient informés des moyens permettant de dépasser ces travers. Ce n’est qu’en prenant connaissance de la manière dont se construit une connaissance de manière fiable et robuste que les jeunes pourront porter un regard sceptique sur les informations auxquelles ils sont exposés.
Les études qui mesurent le développement de l’esprit critique chez les étudiants sont claires : en parler dans son cours ne suffit pas. Des progrès n’ont lieu que si l’on propose des cours spécifiquement dédiés à l’esprit critique, comprenant des contenus théoriques mais aussi des exercices visant à transférer les apprentissages académiques à des situations réelles (source: https://www.oecd-ilibrary.org/education/does-higher-education-teach-students-to-think-critically_cc9fa6aa-en ).

 

Image générée par DALL-E le 5 novembre 2024

Différents LLM pour différents usages

OpenAI fait (à nouveau !) l’actualité cette semaine avec son service chatGPT Search et un mode vocal disponible sur les ordinateurs. On en oublierait qu’il existe d’autres modèles de langage et qu’ils peuvent être tout à fait intéressants, selon vos besoins.

Voici un tableau de quelques services qui me semblent particulièrement intéressants. Si vous utilisez régulièrement chatGPT, je vous encourage à essayer ces alternatives. Elles peuvent toutes être essayées gratuitement, avec un nombre de requêtes maximal différent selon les plateformes.

Nom Entreprise Spécificité
ChatGPT OpenAI Capacités conversationnelles avancées et génération de texte polyvalente.

Pour les mêmes usages, il existe d’autres services: Claude d’Anthropic, Bard de Google,

Perplexity Perplexity AI Moteur de recherche AI fournissant des réponses directes avec des informations sourcées
Consensus.app Consensus Recherche et synthèse d’articles scientifiques pour des réponses basées sur des preuves.
Typeset.io SciSpace Axé sur l’aide à la compréhension de documents scientifiques
HuggingChat Hugging Face Supporte plusieurs LLM open-source et offre une variété de tâches NLP
Copilot Microsoft Intégration poussée dans l’environnement Microsoft et génération de code

 

Par ailleurs, les modèles de langages utilisés par chatGPT sont parmi les plus “gros” et donc les plus gourmands en énergie. Pour des conversations simples, vous pourriez préférer des modèles plus sobres.

Pour vous faire une idée, n’hésitez pas à tester le site: https://www.comparia.beta.gouv.fr/, proposé par le gouvernement français: il permet de proposer une requête et de comparer les réponses de deux LLMs. Sans qu’on sache de qui vient chaque réponse, on vote pour la meilleure. Puis on nous dévoile qui était derrière chaque réponse et les caractéristiques (nombre de paramètres, type de licence) ainsi que la “dépense” en termes énergétiques.

Une mise en garde avant de clore ce court article :  toutes ces IA produisent un contenu dont la fiabilité n’est pas garantie. Vérifiez toujours (souvent plus facile à dire qu’à faire !)

 

 

 

 

Crédits image: canva+IA

 

Quelle place pour les smartphones à l’école ?

Ces dernières rentrées scolaires ont été marquées, aux quatre coins du monde, par l’interdiction des téléphones portables dans les classes, et plus largement dans les écoles. La Tasmanie, la Guinée, les États-Unis (avec notamment la Californie ou New York), le Royaume-Uni, la France ou encore les Pays-Bas sont parmi les nombreux pays qui ont décidé de revoir drastiquement leur copie concernant l’usage des appareils mobiles par les élèves.

Après une période où le BYOD [1] semblait sur toutes les lèvres, comment expliquer ce revirement concernant l’utilisation des téléphones? S’agit-il, comme le qualifient certains observateurs, ni plus ni moins d’une “panique morale” ou y a-t-il des raisons plus profondes et fondées? Et où en sommes-nous en Suisse ou à Genève?

Ce bref article tend à sortir d’une opposition parfois stérile entre technophobie et technophilie en vous proposant un point de situation général sur l’état des recherches actuelles et sur quelques-unes des mesures prises.

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