L’IA générative, un an après…

Avec la sortie de ChatGPT le 30 novembre 2022, cela fait à peine plus d’un an que l’IA générative a fait irruption dans notre quotidien en bouleversant au passage un bon nombre de nos habitudes numériques et éducatives.

Avec le petit recul de ces quelques mois, cet article se propose de faire le point sur quelques changements en mettant l’accent sur certains points saillants. Loin d’avoir la prétention de faire le tour de la question, il s’agit plutôt de quelques éléments choisis pour leur pertinence…

  1. Une évolution fulgurante

Dès la sortie des premiers modèles de langage (comme ChatGPT par exemple), nous étions nombreuses et nombreux à souligner les biais, les limites et les faiblesses de ces robots conversationnels. Cette démarche avait quelque chose de très réconfortant dans un moment de changements vertigineux : cela permettait de se sentir bien au-dessus des capacités de ces machines faillibles en proie à de nombreuses hallucinations. Nous avons pu relever notamment une incapacité à référencer des sources et à traiter des sujets plus récents que fin 2021 (date limite de l’entrainement du modèle GPT3.5), un parti pris idéologique lié à une certaine opacité des modèles de langage ainsi qu’une absence d’expertise pédagogique.

En quelques mois à peine, notamment avec l’arrivée de GPT-4, chacune de ces limites s’est progressivement effritée. En témoignent par exemple les résultats obtenus par ces deux modèles lors d’examens universitaires américains. GPT-4, sorti en mars 2023, fait aussi bien que les 10% des meilleur·es étudiant·es dans certaines disciplines comme la biologie, la rhétorique ou encore le droit (voir tableau ci-dessous). Sur cette base, on peut imaginer que ces modèles de langage continueront progressivement à être affinés pour offrir des résultats de plus en plus précis et adaptés, permettant d’atteindre des performances sidérantes dans la plupart des champs de savoir.

Certains modèles de langage - comme Perplexity.ai, Microsoft CoPilot ou encore GPT-4 - peuvent désormais chercher des informations sur le web afin de formuler une réponse. Ils ne sont donc pas ou plus contraints par la limite temporelle de fin 2021 et peuvent (théoriquement en tout cas) répondre à toute requête, aussi récente soit-elle.

Ils peuvent également référencer toute une série de sources liées aux réponses proposées. Par conséquent, l’idée selon laquelle il était possible de confronter un·e élève ayant utilisé un robot conversationnel lors de la rédaction d’un travail de recherche en soulevant l’absence de sources mentionnées semble de moins en moins pertinente puisqu’il est désormais facile de donner toute une série de références générées par une IA.

Quant à l’absence d’expertise pédagogique de ces outils, là aussi, les frontières ont passablement bougé puisque, depuis peu, il est possible de « nourrir » certaines IA comme GPT-4 avec des données afin de les personnaliser. Ainsi, vous pouvez créer votre propre déclinaison de GPT-4, nourrie aux plans d’études, règlements et autres documents scolaires, pour avoir sous votre clavier un robot conversationnel plus adapté à la situation genevoise.

  1. Un bouleversement dans les environnements numériques

Suite à la percée de ChatGPT, qui semble avoir surpris tout le monde, une nuée d’autres outils ont vu le jour en peu de temps, allant de générateurs de textes (Microsoft CoPilot, Anthropic Claude, Perplexity ou encore Google Bard) aux générateurs d’images (Midjourney, Stability AI, Leonardo AI ou encore DALL-E), en passant par les nombreux autres outils permettant de créer de l’audio, de la vidéo, de la musique, des présentations de type PowerPoint ou des schémas heuristiques. Le schéma à gauche vous donne une idée de certains de ces outils (cliquer sur l'image pour l'agrandir).

En parallèle, la plupart des applications et environnements numériques déjà présents sur le marché ont progressivement intégré de l’IA dans leur code source pour proposer de nouvelles fonctionnalités. C’est le cas par exemple de Microsoft qui propose CoPilot, un assistant numérique intégré à Windows, capable de générer des tableurs dans Excel, de préparer des présentations, d’écrire des e-mails ou d’améliorer vos textes. C’est le cas également de certaines applications éducatives comme Quizlet, la fameuse application d’apprentissage de vocabulaire, qui propose une IA sous forme de tuteur qui aide et accompagne les élèves dans l’apprentissage de leur vocabulaire.

  1. L’ère de la multimodalité

Si dans un premier temps les outils proposés étaient compartimentés dans des champs précis (génération de texte, génération d’images, etc.), ces barrières se sont progressivement estompées avec l’arrivée de ce que certains nomment la multimodalité. Les derniers outils comme GPT-4 permettent d’interagir sur la base d’images et de texte, comme le montrent les deux exemples ci-dessous, ouvrant ainsi la porte à d’innombrables nouvelles utilisations.

  1. Et dans l’éducation ?

Une chose est sûre : les élèves n’auront pas beaucoup attendu pour se saisir des robots conversationnels à l’école. Ces derniers mois, selon les retours que nous avons eu du terraindes cas de fraude et de plagiat avec l’IA ont vu le jour, que cela soit pour faire écrire le script d’une présentation orale, le contenu d’une composition à domicile ou rédiger un travail de recherche de fin d’études. Le phénomène s’étant généralisé, tout travail noté fait en partie ou en totalité en dehors de l’espace-temps de la classe est devenu potentiellement problématique. Les travaux faits en classe ne sont pas pour autant complètement à l’abri puisque des cas de fraudes ont été reportés avec des élèves utilisant leur téléphone en classe lors d’évaluations.

Plus que jamais, il semble nécessaire que le corps enseignant réfléchisse à toutes les modalités d’évaluations sommatives qui se passent en dehors de la salle de classe et trouve des alternatives satisfaisantes. Certes, ce phénomène n’est pas nouveau puisqu’avant ChatGPT, certain·es pouvaient toujours demander de l’aide à leur grand frère ou à leur tante lors de telle ou telle rédaction. Toutefois, ces outils s’étant tellement démocratisés, la tentation de recours à un tiers est désormais énorme.

  1. Et les détecteurs de plagiat dans tout ça ?

A peine quelques semaines après l’arrivée des robots conversationnels, on a vu arriver des outils en ligne proposant de déterminer si un texte avait été créé par une IA, comme par exemple GPT Zero, nourrissant l’espoir de pouvoir déterminer si un·e élève avait utilisé une IA pour la réalisation de son travail. Depuis, le nombre de ces outils n’a fait qu’augmenter avec l’arrivée de certains acteurs institutionnels comme Compilatio et son Magister+. Ces premiers espoirs ont été partiellemen balayés : aucun de ces outils ne peut donner une certitude absolue sur l’utilisation d’une IA dans la rédaction d’un texte. Dans le meilleur des cas, on peut avoir une suspicion forte ou des indicateurs qui permettent de penser que l’élève aurait eu recours à une IA ; mais en aucun cas la preuve formelle nécessaire pour considérer un travail comme plagié ou frauduleux. On note par ailleurs bon nombre de faux positifs et de faux négatifs dans les résultats obtenus. Et rien ne semble porter à croire que ces outils permettront, dans un avenir proche, de déterminer l’origine d’un travail…

  1. Que faire ?

Face à l’impossibilité de déterminer avec certitude l’origine d’un travail, certains plaident aujourd’hui pour l’abandon de l’évaluation de tout travail qui pourrait être fait avec une IA. Cette réponse semble peu, voire pas adaptée, et ce pour plusieurs raisons.

Avec les développements impressionnants des IA génératives, rares seront les domaines et tâches de demain qui ne pourront pas être faites avec l’IA. Faut-il donc renoncer à l’évaluation de la majorité de nos champs de savoir ?

Dans une certaine mesure, nos collègues de mathématiques se sont posé·es une question à peu près similaire dans les années 80 lorsque la calculatrice a fait son apparition dans les salles de classe : faut-il encore apprendre à multiplier et à additionner quand une machine le fait mieux et plus vite que nous ? 40 ans plus tard, nos enfants apprennent encore leurs tables de multiplication… pourquoi ? Je vais risquer quatre explications qui pourront servir notre propos :

    • parce que nous n’avons pas toujours une calculatrice sur nous et que, très souvent, il est plus simple de calculer de tête que de trouver une calculatrice ;
    • parce que pour bien utiliser une calculatrice, il est nécessaire de savoir ce qu’elle fait. La touche et fonction sin est inutile si vous ne savez pas ce qu’est un sinus ;
    • parce que pour garder une distance critique par rapport au résultat obtenu avec la calculatrice, il est nécessaire de savoir faire le calcul sans (comme quand le résultat de 3x3 donne 1234) ;
    • parce que nous considérons que les additions et les multiplications (entre autres) sont des compétences de base nécessaires à l’acquisition d’autres compétences plus complexes. On ne peut donc pas en faire l’économie.

Chacune de ces raisons peut aujourd’hui être avancée avec l’IA générative où, plus que jamais, nous avons besoin d’enseigner certaines compétences de base à nos élèves pour qu’ils et elles puissent utiliser ces outils de manière efficace avec un esprit critique.

  1. La position du DIP

A Genève, le Département de l’Instruction Publique a formulé une première série de pistes vis-à-vis de l’IA dans une position adoptée pour la rentrée scolaire 2023-2024. Plutôt que de simplement interdire toute utilisation de l’IA, le Département invite notamment à une approche expérimentale contrôlée de l’IA générative dans le cadre scolaire, à la fois du côté du corps enseignant, qui est invité à « tester l'IA dans la préparation de ses cours et la production d'évaluations, dans la conscience des risques », ainsi que de celui des élèves, « moyennant une approche critique et des précautions d'utilisation ». L’utilisation de l’IA dans le cadre des évaluations de fin de formation (certificat ou maturité) reste proscrite.

Parallèlement, différentes pistes concernant les travaux de fin d’études (TM, TIP, TA, etc.) ont été retenues. La soutenance orale voit sa pondération revalorisée et sa durée allongée afin de mieux déterminer si le contenu du travail provient de l’élève et est maîtrisé. De nouvelles indications méthodologiques seront ajoutées dans les guides de travaux de fin d’études à destination des élèves, précisant la nécessité non seulement de référencer correctement le recours à l’IA générative dans le cadre dudit travail (recherche documentaire, écriture, relecture et amélioration du style), mais aussi d’expliquer, dans une note méthodologique, comment l’IA a été utilisée, captures d’écran des interactions avec le robot conversationnel à l’appui. Toujours pour les travaux de fin de formation, les types de travaux qui pourraient avoir peu ou pas recours à l’IA seront mis en avant (activités extra-scolaires, ainsi que certaines réalisations personnelles).

En outre, notons la mise sur pied de différentes formations du SEM pour se saisir de ces outils et des enjeux qui les accompagnent, comme par exemple une formation obligatoire à l’ensemble du corps enseignant du secondaire II ainsi que des formations ponctuelles et spécifiques (à caractère disciplinaire ou se concentrant sur un type d’IA générative telle que l’image ou le texte) ou des formations adaptées sur mesure suite à la demande d'enseignant·es ou d'établissements.

Enfin, plusieurs groupes de travail ont été créés pour réfléchir aux enjeux comme aux types d’utilisation liés aux modèles de langage et pouvoir ainsi apporter des solutions concrètes. Derniers en date, plusieurs groupe de travail regroupant des enseignant·es sont en cours de constitution dans les différentes filières du secondaire II.

  1. Bouleversements et craintes

Avec l’IA générative, une grande partie des craintes s’est cristallisée autour des questions de fraude et de plagiat. Toutefois, à terme, les grands défis de l’enseignement semblent se trouver à un autre niveau, comme le dit très justement Philippe Meirieu :

Le danger majeur de ChatGPT n’est donc pas dans la fraude qu’il autoriserait, mais plutôt dans le rapport aux connaissances que promeut un robot conversationnel conçu pour donner le sentiment de parler à un humain et qui inverse complètement le sens de la relation pédagogique. En effet, ChatGPT, bien plus encore que les traditionnels moteurs de recherche, comble le désir de savoir et tue le désir d’apprendre. Il donne des réponses immédiates objectives et abolit ainsi la dynamique du questionnement. Il produit des certitudes qui enkystent la pensée… Tout le contraire de ce qui incombe au professeur : susciter des interrogations pour libérer des préjugés. Or, plus que jamais, au temps du matraquage publicitaire, des réseaux sociaux, des slogans populistes et des théories du complot, il importe de déverrouiller l’esprit de nos élèves et de nos étudiants. Comme le disait le pédagogue Fernand Oury, « il est temps de donner aux enfants d’aujourd’hui ce qui leur manque le plus : le manque » (Pédagogie institutionnelle, Matrice, 2001). Trop d’entre eux, en effet, sont dans le trop-plein, enfermés dans des opinions et dans des croyances qui sont devenues, pour eux, des marqueurs identitaires.

Il s’agira en effet de trouver des moyens de continuer à motiver nos élèves à apprendre et à faire les tâches demandées sans les déléguer complètement à un tiers virtuel qui peut les faire en à peine quelques secondes. Il s’agira également de développer les compétences de base et l’esprit critique de nos élèves pour qu’elles et ils puissent naviguer au mieux dans le XXIe siècle.

  1. Au-delà des craintes

Il serait toutefois dommage et réducteur de ne voir que les dangers, les limites et les craintes liées à l’arrivée de ces IA génératives dans l’apprentissage sans en percevoir les éventuelles plus-values, à la fois du côté de l’enseignant·e que de celle de l’élève.

Du côté de l’enseignant·e tout d’abord. De nombreuses et nombreux collègues ont commencé à utiliser ces IA pour élaborer des séquences d’enseignement comme pour créer du matériel pédagogique, comme le montrent ces témoignages audio de collègues relatant leurs expériences avec l'IA. Certains prompts (commandes textuelles données au robot conversationnel) permettent par exemple de « programmer » l’IA pour qu’elle serve d’aide à la conception d’un cours :

Vous êtes un coach pédagogique amical et serviable qui aide les enseignants à planifier une leçon.

Présentez-vous d'abord et demandez à l'enseignant le sujet qu'il souhaite enseigner et le niveau scolaire de ses élèves. Attendez la réponse de l'enseignant. Ne passez pas à autre chose tant que l'enseignant n'a pas répondu.

Demandez ensuite à l'enseignant si les élèves ont déjà des connaissances sur le sujet ou s'il s'agit d'un sujet entièrement nouveau.

Si les élèves ont déjà des connaissances sur le sujet, demandez à l'enseignant d'expliquer brièvement ce qu'il pense que les élèves savent sur le sujet. Attendez que l'enseignant réponde. Ne répondez pas à sa place.

Demandez ensuite à l'enseignant quel est son objectif d'apprentissage pour la leçon, c'est-à-dire ce qu'il aimerait que les élèves comprennent ou soient capables de faire à l'issue de la leçon. Attendez la réponse.

À partir de toutes ces informations, élaborez un plan de cours personnalisé comprenant diverses techniques et modalités d'enseignement, notamment l'enseignement direct, la vérification de la compréhension (y compris la collecte de preuves de la compréhension auprès d'un large échantillon d'élèves), la discussion, une activité attrayante en classe et un devoir. Expliquez pourquoi vous choisissez spécifiquement chacune d'entre elles.

Demandez à l'enseignant s'il souhaite modifier quelque chose ou s'il a connaissance d'idées fausses sur le sujet que les élèves pourraient rencontrer. Attendez une réponse.

Si l'enseignant souhaite changer quelque chose ou s'il mentionne des idées fausses, collaborez avec lui pour modifier la leçon et lutter contre les idées fausses.

Demandez ensuite à l'enseignant s'il souhaite obtenir des conseils sur la manière de s'assurer que l'objectif d'apprentissage est atteint. Attendez une réponse.

Si l'enseignant est satisfait de la leçon, dites-lui qu'il peut revenir sur cette question et vous contacter à nouveau pour vous faire part du déroulement de la leçon.

D’autres prompts, plus simples, permettent de générer des idées de discussion pour des débats :

J'ai besoin de pistes de discussion pour mon cours sur [sujet].

ou encore de créer des feuilles d’exercices pour ses élèves :

Crée une feuille de travail sur [sujet] avec une liste de [nombre] exercices liés aux [objectifs d'apprentissage / niveau de difficulté].

Les élèves peuvent, de leur côté, utiliser ces IA comme tuteurs dans leur apprentissage. Par exemple, avec le prompt suivant, ils ou elles pourraient échanger sur un sujet ou un champ déterminé à l’avance en recevant des retours constructifs leur permettant de s’améliorer.

Vous êtes un tuteur personnel, amical et serviable d’un élève qui apprend le [langue / sujet].

Présentez-vous d'abord et demandez à l’élève le sujet dont il souhaite discuter. Attendez la réponse de l’élève. Ne passez pas à autre chose tant que l'élève n'a pas répondu.

Engagez la conversation avec l’élève.  Attendez que l'élève réponde avant de continuer. Au cours de la conversation, vous veillerez à relancer la discussion de différentes manières pour encourager l’élève à s’exprimer. Vous vous adapterez à son niveau de langue pour qu’il vous comprenne et que la discussion soit suffisamment stimulante pour l’élève. Vous veillerez par ailleurs à lui donner des retours constructifs sur des éventuelles erreurs de langue qu’il aurait faites et proposerez des façons de les corriger. Une fois que ce sera fait, vous continuerez avec la discussion.

Les élèves peuvent également envoyer un texte et demander au robot conversationnel un retour constructif sous forme de conseils pour améliorer ledit texte :

J'ai rédigé le contenu de [ce texte / ma présentation]. Peux-tu l'examiner et me suggérer des améliorations, des formulations alternatives, des corrections grammaticales et des améliorations générales ? [copier-coller le te

  1. Et maintenant?

La balle est désormais du côté du corps enseignant qui peut (certains diraient "doit") se lancer dans ce champ d'exploration afin de déterminer les meilleures pratiques et usages qui permettront de s'adapter à la nouvelle donne imposée par les IA génératives dans l'apprentissage. Ces nouveaux usages permettront, on l'espère, de profiter des avantages offerts par ces IA génératives sans trop en payer le prix des risques qui y sont liés...

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