ChatGPT et l’IA générative, deux ans après

Deux ans après la sortie mondiale de ChatGPT, le 30 novembre 2022, le paysage numérique ainsi que les pratiques qui lui sont liées ont énormément évolué. Petit tour d’horizon des changements passés et présents.

Les outils

Dans un premier temps, ChatGPT était sur toutes les lèvres et le grand public découvrait avec stupeur (parfois accompagnée de vertiges existentiels ou professionnels) le potentiel énorme des LLM (large language models), ces IA génératives capables de générer à peu près n’importe quel type de texte de manière convaincante.

En très peu de temps, d’autres services et modèles de langage lui ont emboîté le pas, chacun avec ses spécificités propres. Loin de vouloir tous les répertorier ici, nous en noterons notamment trois :

  • ai, un moteur de recherche innovant, utilisant l’intelligence artificielle pour fournir des réponses précises et adaptées en langage naturel ;
  • Duck Duck Go AI Chat, une interface web qui permet d’utiliser plusieurs modèles de langage de pointe sans connexion préalable à un compte et de manière privée ;
  • Notebook LM, un véritable assistant personnel qui vous permet de créer des carnets de notes, d’importer de nombreux documents (jusqu’à 50 documents par note) pour ensuite interagir avec l’IA conversationnelle sur la base de ces notes.

Une intégration de plus en plus large dans le paysage numérique

Si dans un premier temps les IA générationnelles étaient clairement définies dans l’espace numérique, il en va autrement aujourd’hui : ces dernières ont colonisé la plupart des services que nous utilisons, au point d’être presque partout. De nombreuses messageries proposent désormais un assistant à l’écriture, les services clients des grandes entreprises utilisent un agent conversationnel pour répondre aux questions du public et la plupart des grandes applications pédagogiques intègrent désormais un tuteur numérique privé. Par ailleurs, les systèmes d’exploitation, de iOS à Windows, se dotent de fonctionnalités de plus en plus complexes intégrant les IA génératives dans leur code source.

Des usages qui changent

Avec la multiplication des outils et de leurs intégrations, les usages explosent. S’il n’aura fallu que cinq jours pour que ChatGPT atteigne le million d’utilisateurs, on a désormais passé la barre des 200 millions d’utilisateurs hebdomadaires rien que pour les outils d’OpenAI. Plusieurs études s’intéressent par ailleurs aux typologies d’utilisation de ces IA[1]. Les deux types d’usage les plus courants aujourd’hui sont :

  1. faire ses devoirs et travaux à domicile dans le cadre scolaire ;
  2. faire des jeux de rôles sexuels avec une IA.

Il serait donc naïf de penser que nos élèves n’ont pas recours à ces outils ou encore que ces derniers n’ont aucun impact sur les usages scolaires de nos élèves et leur apprentissage.

Une qualité en constante amélioration

Avec l’arrivée des IA génératives, la chasse aux hallucinations s’est popularisée : à l’image des fameux œufs de vaches, de nombreuses personnes s’amusent à pousser ces machines dans leurs retranchements pour en montrer les limites et les biais. Cela offrait un certain réconfort, de savoir que la machine était encore loin des prouesses du cerveau humain. Cette chasse, et la conviction qui l’accompagne, s’avère toutefois de plus en plus compliquée. En témoigne notamment une récente étude[2] auprès de lecteurs non-experts et portant sur leur capacité de différencier des poèmes générés par une IA de ceux écrits par des poètes humains renommés. Les participants y ont souvent attribué à tort des poèmes d’IA à des auteurs humains. Les poèmes générés par IA ont par ailleurs été jugés plus favorables sur des critères comme le rythme et la beauté.

Du texte à la multimodalité et à l’agentivité

En très peu de temps, ce qui n’était au début « qu’un » générateur de texte s’est transformé en machine à tout faire : sur la saisie d’un texte (ou prompt), on peut désormais générer des images bluffantes de réalisme. Les dernières vidéos générées par l’IA, comme celles des Dor Brothers, montrent qu’il devient de plus en plus difficile de différencier le vrai du faux. Le monde de l’art n’est pas en reste puisqu’un tableau généré par une IA vient récemment d’être vendu pour $1,084,800[3]. Les Beatles, quant à eux, ont été nommés aux Grammy Awards pour un titre en partie généré avec de l’IA[4]. Enfin, on parle de plus en plus d’agents autonomes qui deviennent capables de commander vos billets d’avion, d’organiser vos vacances ou commander vos courses en ligne de manière autonome.

Un bouleversement dans les contenus en ligne

Entre la démocratisation des outils et leur constante amélioration, on retrouve logiquement un flot massif de productions de tous types qui se retrouvent sur Internet. A terme, de nombreuses et nombreux spécialistes s’attendent à ce que les productions humaines se fassent de plus en plus rares sur Internet face aux flots continus de contenus générés par des IA. Une simple recherche sur YouTube sur le stoïcisme vous prouve déjà que, pour certains sujets, les productions humaines se comptent sur les doigts des deux mains : sur les soixante premiers résultats, seul neuf n’ont pas été générés entièrement par des IA. Les 51 autres résultats font l’apologie de ce que certains[5] appellent le Stoïcisme Alpha qui, au final, n’a plus grand-chose à faire avec le stoïcisme originel.

Ce raz-de-marée se fait également sentir chez Wikipedia qui reçoit désormais une soumission d’article en anglais toutes les minutes[6]. Malgré de grandes équipes de modération, de nombreux articles y sont publiés, portant sur des sujets imaginaires ou simplement faux. En septembre 2023, Amazon a, quant à lui, dû limiter à trois le nombre de publications d’ouvrages par jour et par auteur.

Le phénomène s’est tellement généralisé que les craintes d’une entropie d’IA généralisée n’appartiennent plus au seul domaine de la science-fiction. En d’autres termes, il s’agirait de ce moment où, à force d’être « nourris » ou plutôt entrainés sur des productions d’IA – elles-mêmes entrainées sur d’autres générations d’IA, ces modèles perdraient en qualité avant de s’effondrer.

Et à l’école genevoise ?

Dans ces dernières années, l’école genevoise n’est pas restée les bras croisés face à tous ces chamboulements. Le SEM a mis en place une série de formations en ligne sur l’IA :

ainsi qu’une formation en présentiel :

Par ailleurs, tous les établissements de l’ESII ont accueilli une formation obligatoire pour l’ensemble de leur personnel enseignant sous forme de conférence, suivie de discussions.

Notons encore la mise en place d’un club d’IA pour échanger sur les pratiques, de différents mercredis à thèmes ainsi que de cafés IA.

En parallèle de ces modalités de formations, un groupe de travail constitué d’enseignantes et d’enseignants du secondaire a été créé par la Direction Générale. Différents documents de référence ont pu être produits, dont une communication à destination des élèves sur les usages scolaires des IA.

Parce que, rappelons-le, l’utilisation de l’IA n’est proscrite ni pour le personnel enseignant, ni pour les élèves. Le Département invite au contraire à un champ d’expérimentation contrôlé dans lequel l’utilisation des IA se fait de manière réfléchie et selon les règles déontologiques en la matière. Par exemple, les élèves utilisant une IA dans le cadre de leur travail de fin de formation doivent non seulement indiquer dans leur bibliographie la ou les IA utilisées mais doivent également expliquer comment ces dernières ont été utilisées avec des captures d’écran à l’appui.

Et c’est justement dans ce cadre d’expérimentation contrôlée que le SEM suit de nombreux projets prospectifs en lien avec de l’IA : en langues comme en sciences, des collègues explorent de nouvelles pistes pédagogiques et autres modalités d’enseignement et d’apprentissage.

Quels défis pour l’école genevoise ?

Dans un premier temps, les questionnements et craintes se sont cristallisées autour de la fraude que permettraient ces robots conversationnels. Du jour au lendemain, tous les travaux faits en dehors de l’espace-temps de la classe, de la présentation orale au travail de maturité, sont devenus problématiques. La mise à jour du logiciel de détection de plagiat, Compilatio, avec son module de détection IA, Magister+, permet désormais de déceler les textes potentiellement générés par l’IA.

Et pourtant, comme le souligne très justement Philippe Meirieu[7], le vrai défi se situe ailleurs. Il s’agit dès lors de continuer à stimuler nos élèves à apprendre par elles-mêmes et par eux-mêmes, sans déléguer le gros du processus d’apprentissage à un tiers numérique. Cette délégation constante mènerait alors à un avilissement de leurs compétences et connaissances, à l’image de nos capacités de navigation d’un point A à un point B depuis l’arrivée des GPS sur nos smartphones.

Image générée par Midjourney v.6

[1] https://www.nytimes.com/2024/11/15/podcasts/crypto-congress-hbd-chatgpt-what-social-media-platform-should-i-be-on.html

[2] https://www.nature.com/articles/s41598-024-76900-1?_bhlid=265651e963c75e08d98b932b8db3b3901dc28644

[3] https://www.bbc.com/news/articles/cpqdvz4w45wo?_bhlid=a20b4bf4435b1c59bd88777c5542153ad1d2625e

[4] https://www.bfmtv.com/people/musique/les-beatles-nommes-aux-grammy-pour-la-premiere-fois-depuis-1997_AN-202411090307.html

[5] https://www.youtube.com/watch?v=rJE2qkP0Gk4

[6] https://www.rts.ch/info/sciences-tech/2024/article/l-intelligence-artificielle-nouvelle-menace-pour-l-integrite-de-wikipedia-28681292.html

[7] https://www.meirieu.com/ARTICLES/MEIRIEU_PHILIPPE_ROBOTS_CONVERSATIONNELS_CURSEURS.pdf

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