“Archives’ stacks” par dolescum – CC BY-NC-SA 2.0, image modifiée par l’auteur
Quelqu’un a racheté Twitter récemment et tout ne se passe pas exactement comme sur des roulettes. Fuite des utilisateurs, fuites des annonceurs, fuite des collaboratrices et collaborateurs. Le risque de faillite est agité, il est semble-t-il réel.
Des voix s’élèvent aujourd’hui pour s’inquiéter du dommage majeur que constituerait une hypothétique disparition de Twitter pour les sciences sociales d’aujourd’hui comme pour les historiennes et historiens du futur. Cela pourrait engendrer la perte d’un corpus incontournable du débat public de notre époque. Sera-t-il possible d’écrire l’histoire des mouvements sociaux de notre temps sans recourir à cette source? Pas davantage qu’il ne serait envisageable d’étudier un quelconque phénomène des Trente glorieuses sans les archives de presse, radio et télévision.
Une autre histoire, mais quelques enjeux communs
La comparaison s’arrête à peu près là, tant les médias dits traditionnels diffèrent des réseaux sociaux que nous connaissons du point de vue de leurs conditions de production et de diffusion. Pourtant, tout cela n’est pas sans rappeler certains aspects de l’histoire de la conservation des archives audiovisuelles.
Dans le domaine de la télévision en particulier, la mise en place de politiques de conservation et d’accès a été longue et difficile. En cause, un média de flux générant d’importants volumes de données, des problèmes de droits, des difficultés techniques et des coûts élevés. Une longue absence d’obligation de le faire pour des entreprises dans une large mesure privées ou gérées comme telles, parfois malgré un mandat de service public. Le dépôt légal est loin de constituer la norme.
C’est finalement l’émergence d’une sensibilité patrimoniale, l’intérêt des historiennes et historiens, et enfin la prise de conscience de la valeur du trésor de guerre que constituent les archives pour les chaînes elles-mêmes qui ont permis la mise en œuvre de mesures de sauvegarde ambitieuses. Celles-ci ont été le fait d’une part des producteurs et diffuseurs eux-mêmes, d’autre part d’organismes à ancrage presque toujours national, dotés de prérogatives plus ou moins fortes (Memoriav en Suisse, INA en France, …). Et tout cela a eu lieu plusieurs dizaines d’années après les débuts de ce média. Que dire, si ce n’est que les milliardaires de l’économie numérique globale semblent aujourd’hui bien éloignés d’une telle préoccupation?
Une impermanence parfois bien pratique
Sur un autre plan, la nature même des réseaux sociaux a d’ailleurs pour conséquence que l’hypothèse d’une pérennité des traces fait justement horreur à une bonne part des utilisateurs. Le droit à l’oubli est généralement perçu comme légitime pour tout un chacun. Dans le cas de personnalités politiques, la possibilité de supprimer ou modifier des déclarations passées soulève évidemment d’autres questions. Vous avez dit révisionnisme?
Au bout du compte, il est bien permis de se faire du souci pour les historiennes et historiens du futur. Comme l’article de Wired cité plus haut le rappelle, les tentatives d’archiver les réseaux sociaux ou le web en général dans une perspective historique ou citoyenne se sont jusqu’à présent heurtées à d’énormes difficultés.
So what?
Mais revenons à nos moutons. Quel rapport avec l’enseignement? La culture numérique, bien sûr! Beaucoup a été dit sur l’aporie de la modération des réseaux sociaux. On peut craindre en effet que Twitter devienne le déversoir débridé de la haine et du mensonge. Ou au contraire le cimetière de la liberté d’expression. Les quelques réflexions livrées ici peuvent nous ouvrir à d’autres enjeux fondamentaux pour l’ensemble des disciplines de sciences humaines. Reste un vaste chantier méthodologique: comment intégrer les réseaux sociaux parmi les sources utilisées dans les travaux d’élèves? Dans les travaux de fin d’études, en particulier?
HOOVER, Amanda. Want to Archive Twitter? Good Luck With That. Wired [en ligne]. 16 novembre 2022. [Consulté le 20 novembre 2022]. Disponible à l’adresse: https://www.wired.com/story/twitter-archive-elon-musk/