
Dans « Be Right Back », le créateur de Black Mirror, Charlie Brooker, faisait revivre les morts au moyen de l’IA. Dans Her (2013), Spike Jonze choisit pour décor une société où des individus, de plus en plus isolés les uns des autres, déambulent sans se voir dans des mégalopoles anonymes. Le film suit la trajectoire de Theodore Twombly (Joaquin Phoenix), un personnage solitaire et mélancolique qui lutte pour accepter son divorce. Un jour, celui-ci se laisse tenter par une publicité qui vante les mérites d’OS1, un système d’exploitation d’un genre nouveau : « une entité intuitive qui vous écoute, vous comprend et vous connaît ».
Une présence désincarnée
Comme on peut s’en douter, OS1 n’a que peu de points communs avec Windows ou Linux : il s’agit d’une voix, parfaitement naturelle, qui interagit constamment avec Theodore via une oreillette discrète. Celle-ci va d’emblée choisir elle-même son nom et faire preuve d'une vivacité et d'un humour déroutants. Très vite, la jolie voix de « Samantha » (Scarlett Johansson) va accompagner Theodore dans toutes les activités de sa vie. Et, de confidence en confidence, un lien intime va se nouer entre eux.
Poésie et introspection
Une caractéristique intéressante de ce film poétique est qu’il prend à rebrousse-poil certains lieux communs de la science fiction : l’intérêt un peu geek pour le fonctionnement de la technologie elle-même, par exemple, mais aussi la primauté du caractère visuel de ces œuvres. En effet, Samantha est un personnage désincarné dont l’existence passe intégralement par la bande son. D'ailleurs, Joaquin Phoenix joue une majorité des scènes entièrement seul, invitant les spectateurs et spectatrices dans son intimité.

Humain, trop humain ?
Par ailleurs, ce film pose de manière originale une question très actuelle : de quelle manière des IA avancées pourraient-elles changer notre capacité à nouer des relations intimes avec d’autres êtres humains ?
Ces dernières années, le marché des « applications compagnons » en santé mentale – soit des chatbots psy – est par exemple en forte croissance. Et cette tendance ne peut que s’intensifier avec les progrès spectaculaires de l’IA et les milliards investis dans ce champ potentiellement lucratif. On est en effet très très loin aujourd’hui d’ELIZA, le premier programme de ce genre, écrit par Joseph Weizenbaum du MIT dans le but de simuler le travail des psychologues inspirés de Carl Rogers.
On peut dès lors se demander si certaines personnes ne préféreront pas bientôt converser avec une IA qui semble les écouter, les comprendre, les connaître plutôt que de faire l’effort d’interagir avec des êtres humains imparfaits, si souvent indisponibles, distraits, maladroits ?