La sérendipité désigne, dans son sens le plus large, le don de faire, par hasard et sagacité, une découverte inattendue et fructueuse, notamment dans le domaine des sciences. Il s’agit d’une notion polysémique dont le sens varie selon la période, le contexte et la langue utilisée. (…)

Au milieu du XXe siècle, la sérendipité trouve une traduction dans le domaine de la recherche scientifique où elle fait l’objet d’une discussion sur la démarche du chercheur. Elle permet au chercheur de faire une découverte inattendue, d’importance ou d’intérêt supérieur à l’objet de sa recherche initiale, et désigne l’aptitude de ce même chercheur à saisir et exploiter cette « chance ». Mais elle trouve aussi son application dans des champs très divers, allant de la création artistique aux entreprises actives dans l’innovation, où les technologies numériques et Internet semblent jouer un rôle favorisant le phénomène de sérendipité. (Wikipedia, consulté le 29.10.2021)

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Michel Géraldine, Le Nagard Emmanuelle, « Favoriser la sérendipité pour des recherches plus créatives », Décisions Marketing, 2019/1 (N° 93), p. 5-9. DOI : 10.7193/DM.093.05.09.

L'article

Si nous vous disions qu’il existe un point commun entre la pénicilline et le Post-it, nous croiriez-vous ? Et entre les Etats-Unis, la loi de la gravitation universelle, la poussée d’Archimède, les micro-ondes, l’élasticité du caoutchouc et la couleur mauve ? Non, nous ne divaguons pas il y a bien un point commun entre toutes ces découvertes : aucun des chercheurs à leur origine ne s’attendait à les mettre au jour.(…)

Mais, ces découvertes doivent-elles réellement leur paternité au hasard ? Ces découvertes se sont-elles véritablement produites par chance ? Spencer Silver cherchait bien une colle, Colomb était en quête d’une route vers de riches contrées, Fleming d’un antibactérien, Goodyear travaillait le plastique… Et que dire de Newton et d’Archimède ? Ils avaient tous deux en tête les problèmes sur lesquels ils planchaient lorsque l’idée leur est venue. (…)

Il semble qu’il y ait une troisième composante à la sérendipité, la capacité non pas à faire fi du raté, mais à faire fruit du raté. Pour cela, l’ouverture d’esprit, l’humilité et la remise en question ont été essentielles. Tous ont persévéré, et tous ont accepté de faire converger leurs efforts dans une autre direction à celle attendue initialement.(…)

Dans nos domaines, et dans le monde d’aujourd’hui, la recherche commence quasi-invariablement par une recherche d’informations sur Internet. L’organisation de l’information sur Internet bouscule donc totalement le phénomène de sérendipité.

On peut penser que, sur Internet, la sérendipité est compromise. En effet, face à l’immensité des informations disponibles, on recommande généralement d’organiser sa recherche documentaire de façon rigoureuse, en fonction des objectifs, des domaines de recherche et de la fiabilité des sources. La sérendipité serait donc peu compatible avec la formation à la recherche documentaire enseigné par les documentalistes, soucieux d’efficacité dans les résultats.

D’autre part, on sait que les résultats des moteurs de recherches s’appuient sur des algorithmes qui contrôlent la visibilité de l’information. Les moteurs de recherche généralistes sont sous l’influence de l’indexation payante et de l’achat de mots-clés auprès des moteurs de recherche dans l’objectif d’augmenter la visibilité des sites sur le Web (Ertzscheid et Gallezot, 2004). Dans Google Scholar, les articles qui arrivent en tête des résultats sont les articles les plus cités. Les plateformes de bases de données électroniques (Ebsco, Elsevier, Emerald, etc.) sont à la fois utilisées pour récupérer les textes intégraux des articles déjà identifiés, et pour trouver des articles par mots-clés. Dans ce contexte, les notions de hasard et de classification logique sont alors à reconsidérer. Cette somme d’informations, classées par des algorithmes constitue une forme d’info-pollution, qui rend difficile une recherche documentaire inattendue et originale.

Cette approche laisserait donc peu de place à la mise en action de la sérendipité, mais paradoxalement, par la présence de liens hypertextes, la recherche sur Internet redonne un espace à la flânerie, on parle ainsi de « surf ». Les clics successifs redonnent une liberté à l’internaute qui accepte de sortir des chemins numériques battus. Cette flânerie peut cependant également aboutir au phénomène inverse : la zemblanité qui correspond à la faculté de faire des découvertes malheureuses ou banales. Si la sérendipité favorise les découvertes impromptues, la zemblanité en revanche se définit par le don de faire des découvertes ordinaires, telles que les inventions d’objets déjà existants ou totalement inutiles, ou d’enfoncer les portes ouvertes.

Aujourd’hui, le défi du chercheur internaute est de contrer les stratégies des moteurs de recherches, et de ne pas se noyer dans la profusion de liens qu’offrent les pages web, en sombrant dans la zamblanité (sic). Comment alors, éviter ce double écueil, pour pouvoir profiter des bienfaits de la sérendipité, et entamer une démarche vers l’imprévisible et la nouveauté ?

La sérendipité est au final un état d’esprit à cultiver auprès des équipes de recherche pour pouvoir accueillir des idées insolites et non prévues initialement, rester attentifs à des trouvailles inattendues et favoriser ainsi des recherches créatives et nouvelles. Fidèle au positionnement de la revue Décisions Marketing, nous proposons ici quelques recommandations, sous forme de pistes de réflexion, pour les chercheurs et directeurs de recherche.

(…) Suivent quelques conseils généraux.

Annexe 1 : Histoires de 8 découvertes majeures liées au phénomène de sérendipité

1. Eurêka ! Est en général le mot associé à Archimède et à sa mise en évidence de la poussée portant aujourd’hui son nom. La légende – douteuse scientifiquement – veut qu’Archimède ait été aperçu nu dans les rues de Syracuse, scandant en courant ce mot signifiant « J’ai trouvé ». Le Tyran de Syracuse Hiéron II demanda au savant de trouver une méthode pour être certain que la couronne qu’il avait commandée à un orfèvre était intégralement composée d’or. Archimède trouva la solution dans sa baignoire : mesurer le volume de la couronne en la plongeant dans l’eau, puis comparer sa masse volumique avec celle de l’or massif [3] « Eurêka, cria Archimède », L’internaute.com (2007), accessible….

2. Christophe Colomb partit du Portugal en 1492 avec trois vaisseaux, la Pinta, la Niña et la Santa Maria. Il mit les voiles vers l’Ouest, dans l’espoir de trouver une autre route maritime vers les Indes en traversant l’Atlantique. Il ne rapporta pas de son périple des épices, comme attendu, mais beaucoup d’or, des piments, du tabac… Sûr d’avoir atteint l’Asie, il s’était en réalité rendu à Cuba, et venait d’ouvrir la voie vers la conquête des Amériques par la civilisation européenne. Il mourut sans savoir l’importance de ses découvertes [4] Découverte de l’Amérique par Colomb, Universalis.fr, accessible….

3. La légende raconte que c’est en faisant une sieste dans un jardin, à l’ombre de pommiers, que le savant anglais Isaac Newton eut l’idée de la gravitation universelle. On rapporte que la chute d’une pomme – certaines sources font tomber le fruit sur sa tête – lui aurait inspiré ses travaux qui servent encore aujourd’hui, plus de 300 ans après, à expliquer et à mesurer la force gravitationnelle terrestre ainsi que l’attraction des corps célestes  [5]« Faut-il gober la pomme de Newton », SciencesEtAvenir (2010),….

4. Criblé de dettes, Charles Goodyear, s’échinait sans succès à trouver un procédé de stabilisation du caoutchouc, persuadé de pouvoir trouver une méthode stable. Au début du XIXe siècle, on ne savait pas encore comment composer avec les variations brutales de température qui rendaient le matériau mou ou cassant. En 1839, selon la légende, il rate une énième démonstration et jette par colère son morceau de gomme ramolli par la chaleur. La gomme atterrit par (mal)chance sur le poêle. Au lieu de fondre, la gomme forme une pâte extensible et étanche. En gardant à l’esprit ce changement d’état du caoutchouc cuit, il poursuit ses recherches, et trouve en 1842 une manière de rendre ce caoutchouc stable et uniforme en appliquant de la vapeur sous pression à un caoutchouc mêlé de souffre [6]« Charles Goodyear et la révolution du caoutchouc », J.….

5. 1856, le chimiste William Perkin travaille à la synthétisation du célèbre traitement contre la malaria, la quinine. Une de ses expériences, ratée, produisit par erreur une pâte sombre et huileuse. Il constata (certainement en tachant sa blouse blanche), que cette pâte colorait le tissu d’un violet pâle et que cette coloration était indélébile. De plus, la teinte était plus vive que celle des autres teintures vendues à cette époque, lesquelles étaient fabriquées à partir de mollusques, d’insectes ou de plantes. Sa couleur connut très vite un franc succès si bien que la Reine Victoria revêtit une robe mauve au mariage de sa fille deux ans plus tard. Plus surprenant encore, ses travaux inspirèrent un immunologue allemand, Paul Ehrlich, qui fut récompensé d’un prix Nobel pour ses découvertes en immunologie et pour son invention de la chimiothérapie… [7]« 9 Brilliant Inventions Made by Mistake », Tim Donnelly,…

6. En 1928, Alexander Fleming rentre de vacances et retrouve son laboratoire londonien. Il y faisait des expérimentations systématiques sur des cultures de staphylocoques afin de mesurer l’effet antibactérien du Lysozyme, une protéine qu’il avait découverte 6 ans auparavant. Il constata que ses cultures avaient été colonisées par un champignon blanc, le Penicillium notatum, laquelle était étudiée par son voisin de bureau pour ses effets allergènes. Fleming fut surpris de constater qu’une zone vierge de staphylocoque s’était formée entre la moisissure et les bactéries. Un an plus tard, il publia un compte rendu de l’effet de la pénicilline en tant qu’antibactérien. Grâce à ces travaux, l’homme peut aujourd’hui soigner une grande partie de ses maux d’origine bactérienne [8]« Fleming : Découverte de la Pénicilline », Universalis.fr,….

7. Percy Lebaron Spencer, un ex-marin, travaille chez Ratheon, une société développant des radars. En 1945, il œuvre sur un appareil permettant de transformer l’énergie électrique en énergie électromagnétique, par le biais de micro-ondes. Par hasard, une barre de chocolat fond dans sa poche. Il décide alors de mener des expériences avec du maïs, qui se change en pop-corn sous l’effet des ondes. Il réitère l’essai avec un œuf, qui explose. Si l’effet chauffant des micro-ondes était déjà connu, Percy fut le premier à avoir l’idée de les utiliser à des fins culinaires, avec le succès qu’on connait [9]« En 1946, il invente le four à micro-ondes », Sonia Pignet,….

8. En 1968, Spencer Silver, un scientifique américain œuvrant pour 3M (Minnesota Mining and Manufacturing Company), était en charge de développer un puissant adhésif. Ses travaux le conduisirent à l’exacte opposée. Il conçut un matériau qui pouvait facilement se décoller des objets. Ses travaux furent ignorés jusqu’en 1974, lorsque lors d’un séminaire de recherche, un collègue de Silver pensa que cette colle de faible puissance ferait un excellent marque-page : suffisamment forte pour ne pas tomber du livre, et suffisamment faible pour être retirée. En 1980, les 3M acceptèrent finalement de produire et de distribuer ces marque-pages adhésifs sous le nom de Post-it. Le succès fut immédiat et les petits rectangles de papier multicolore sont aujourd’hui iconiques de la culture d’entreprise américaine [10]« 9 Brilliant Inventions Made by Mistake », Tim Donnelly,….

Il y a bien une chose qui lie ces découvertes géographiques, physiques et médicales. Outre leurs importantes répercussions sur le monde et leur nature révolutionnaire, toutes résultent plus ou moins du hasard et la sagacité des chercheurs.