Comment construire et développer l'esprit critique?

Esprit critique

L'esprit critique est un ensemble de méthodes mises en œuvre pour répondre à la question « pourquoi je crois ce que je crois ? ». C’est une compétence cruciale pour comprendre le monde qui nous entoure et nous en faire une représentation mentale aussi juste que possible, qui nous permettra de prendre des décisions éclairées et rationnelles.

C’est aussi une compétence beaucoup évoquée à l’heure où les Intelligences Artificielles sont capables de créer des textes faux dangereusement plausibles ou des images inventées d’un réalisme hallucinant.

Le texte qui suit propose un panorama de l’esprit critique et de son lien avec l’enseignement. Il ne peut pas se substituer à une formation à la discipline.

Version 1 - mars 2023


1. Les principaux ingrédients de l’esprit critique

► Une attitude

L'esprit critique commence par une attitude de questionnement. Cela implique une humilité qui nous permet d'accepter que notre compréhension du monde est imparfaite, même dans des domaines que nous maîtrisons. Sommes-nous prêts à inlassablement nous demander «comment je sais ça? Est-ce que la méthode est bonne? Ai-je de bonnes raisons de le croire?». C’est la posture de base de l’esprit critique.

La curiosité est également essentielle pour développer l'esprit critique, car elle nous pousse à chercher des réponses "pour de vrai" et à élargir nos domaines d’intérêt, sans chercher à simplement confirmer ce que nous croyons déjà savoir.

► La connaissance des faiblesses de notre cerveau

Pour être critique, il est important de comprendre les biais cognitifs qui peuvent nous tromper. Ces biais fonctionnent comme des illusions d’optique: nous ne pouvons pas empêcher notre cerveau d’interpréter de manière erronée ce qu’il voit. De même, les biais cognitifs sont des illusions du raisonnement, qui affectent tout le monde. La connaissance des biais cognitifs n’est donc pas utile seulement aux élèves! Apprenons à les débusquer dans nos propres raisonnements!

► Des outils

Comprendre nos limites, c’est essentiel et difficile. Mais, l’esprit critique vient aussi avec une panoplie d’outils pour nous aider à raisonner correctement, à évaluer l'information de manière objective et prendre des décisions rationnelles selon nos objectifs. Citons la logique, les probabilités et les statistiques, indispensables pour évaluer les arguments et les preuves. Citons encore la démarche scientifique qui nous permet de tester nos connaissances et de les mettre à l'épreuve.

Évidemment, tout cela s’apprend et se travaille : c’est un processus de développement personnel continu jamais terminé. De nombreuses ressources existent pour nous accompagner dans l’apprentissage des outils de la pensée critique (voir le chapitre «Des ressources pour développer l'esprit critique»).

«Corrélation n'est pas causalité» est une maxime qui signifie que le fait que deux phénomènes soient corrélés (c'est-à-dire qu'ils varient ensemble) ne signifie pas nécessairement qu'il y ait une relation de cause à effet entre eux. Par exemple, on peut observer une forte corrélation entre le nombre de cigognes et le nombre de naissances dans une région, mais cela ne signifie pas que les cigognes apportent les bébés!

Un autre exemple amusant est la corrélation entre le nombre de films de Nicolas Cage et le nombre de noyades dans une piscine. Bien qu'il n'y ait évidemment aucun lien entre ces deux phénomènes, on peut observer une forte corrélation entre eux. Cela montre combien il est important d'être prudent dans l'interprétation des corrélations, qui ne suffisent pas à conclure à une relation de cause à effet.

Vous prenez un médicament et vous guérissez ? Corrélation mais peut-être pas causalité. Les enfants qui regardent énormément la télé ont des difficultés scolaires ? Corrélation mais peut-être pas causalité – ou peut-être pas dans le sens auquel on pense de prime abord!

► Une approche probabiliste de la connaissance

Saviez-vous que l’esprit critique est une discipline vivante ? Les biais cognitifs, par exemple, ont été théorisés dans les années 1970. Dans les vingt dernières années, on a assisté à l’émergence du « bayésianisme » : il s’agit d’estimer la probabilité des différentes idées et de mettre ces probabilités à jour en fonction des nouvelles informations qui nous arrivent.

L’approche bayésienne permet de formaliser à quel point il nous faudra des arguments forts pour ébranler nos convictions. Dans les domaines où nous sommes experts, il nous faudra des preuves très convaincantes. Dans des domaines où nous sommes novices, l’avis des autres sera généralement suffisant pour modifier nos estimations.

Cette manière de penser la connaissance, plutôt que de réfléchir en juste ou faux, est également propice à la discussion et au débat car on ne cherche plus à convaincre mais à ajuster des curseurs de croyance.
 

2. L'esprit critique dans l'enseignement

►  Se former, un incontournable

L’esprit critique ne se décrète pas! C’est une discipline en soi, à l’intersection des sciences et de la philosophie, qu’on ne peut pas espérer approcher sans formation. De nombreuses ressources de qualité existent et pourront aider le lecteur intéressé à découvrir ce domaine passionnant ! Nous proposons des pistes plus bas dans le texte.

► Être exemplaire

En tant qu'enseignantes et enseignants, nous jouons probablement un rôle crucial dans le développement de l'esprit critique des élèves et nous pouvons nous attacher à être exemplaires à trois niveaux.

D’abord, nous devrions enseigner nos disciplines comme un savoir et pas comme une croyance, en expliquant « comment on sait ». Il ne s'agit pas de tout prouver, nous n’en avons pas forcément le temps, mais de faire un peu d'épistémologie en expliquant comment les idées sont apparues historiquement, par quelles erreurs elles ont pu passer, etc.

Ensuite, nous devrions user et abuser des marqueurs de doute: «il semble que», «il est probable que», «je suis presque sûr.e que», etc. Il me semble que l’utilisation des ces expressions favorise une flexibilité de l’esprit :-)

Enfin, lorsqu'un élève nous contredit (pour autant que cela ne soit pas clairement absurde), nous pouvons montrer que ses doutes sont acceptables voire souhaitables. Proposons alors une démarche de vérification. Si l'élève a raison, ne nous excusons pas de nous être trompés (enfin, on peut, quand même :-) ) mais réjouissons-nous devant toute la classe d'avoir dorénavant, grâce à cette investigation, une meilleure représentation du monde. Nous attendons cette plasticité des élèves, exigeons-la de nous même!

► Le statut de l'erreur

Il est également important de valoriser les erreurs de nos élèves. Car s'ils ne se trompaient pas, il n'y aurait pas de mise à jour de leur cerveau ! Plus que des erreurs, ce sont des jalons pour progresser. Si une erreur d’un élève provient d’un biais cognitif, il est utile de le faire remarquer et de généraliser. Cela peut permettre de corriger d'autres idées fausses chez nos élèves, qui reposeraient sur les mêmes mauvaises stratégies.

► L'esprit critique comme discipline

Il n'y a pas (encore) de discipline spécifique pour l'esprit critique. Pour combler ce manque, les enseignantes et les enseignants qui se forment à l’esprit critique peuvent essayer de développer des clubs. d’organiser des débats ou des journées hors cadre consacrées à l'esprit critique.

3. Des ressources pour développer l'esprit critique

Il existe de nombreuses ressources pour développer l'esprit critique, que ce soit au niveau personnel, en tant qu'enseignante ou enseignant, ou à destination des élèves. L'annexe de ce document propose une bibliographie détaillée..

► Pour les enseignants

Le SEM propose une formation en ligne  «Comment (se) former à l'esprit critique», à destination de l’ensemble du personnel  enseignant (primaire et secondaire).

Une autre formation en ligne est adressée aux enseignants de primaire: https://edu.ge.ch/site/fc/mitic-numerique-esprit-critique-sem-p1522/

Le SEM organise également régulièrement des mercredis à thème sur l’esprit critique.

►  Pour les élèves

Le SEM propose une exposition sur l'esprit critique, elle peut être accompagnée de visites guidées et d’ateliers. L’exposition «Esprit critique» est empruntable sur inscription via la médiathèque du SEM.

La chaîne YouTube «Info ou Mytho» vise un public d’adolescents et pré-adolescents: https://www.youtube.com/@InfoouMytho

L'association À Seconde Vue propose des spectacles et des ateliers d'esprit critique, elle peut se rendre dans les classes dès la 7e primaire.

Le réseau des bibliothèques scolaires du DIP propose des ateliers de compétences informationnelles destinés, pour l'heure, aux élèves du secondaire II. Ils visent à aider les élèves à définir leurs besoins en informations, à les identifier, les évaluer, les partager, en devenant ainsi des citoyennes et des citoyens responsables, aptes à trier le vrai du faux. Pour l’organisation de ces ateliers, il suffit de se renseigner auprès des centres de documentation des établissements du secondaire II.

► Livres, chaînes YouTube

Voir la bibliographie en annexe.

4. Conclusion

L'esprit critique est certainement essentiel pour résoudre les problèmes complexes auxquels notre société est confrontée, tels que la profusion d’informations pas toujours fiables, le changement climatique ou l’émergence des intelligences artificielles. Les deep fake, par exemple, représentent une nouvelle manière de tromper notre raison, face auxquelles nous devons affûter les outils à disposition et en apprendre de nouveaux.

S’intéresser à l’esprit critique, c’est s’ouvrir à un nouveau monde. Tant qu’on ne l’a pas abordé, on pense tous «avoir de l’esprit critique» et on peut être prompt à voir les défaillances dans les raisonnements des autres sans réaliser nos propres limites. Ce n’est qu’en s’interrogeant de manière approfondie sur la méthode qui produit la connaissance qu’on peut commencer à entrevoir combien la question est importante et abyssale: on ne peut pas faire preuve d’esprit critique sans apprendre à le faire, sans travailler avec courage et, probablement, avec passion!

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