Le roman qu’il me faut : je ne le cherche pas, je le trouve
Cela semblait une évidence inamovible. Les romans et nouvelles? Sur ces étagères, là-bas, par ordre alphabétique du nom de famille de l’auteur. Où? Mais, voyons, un peu partout, ça dépend de l’auteur!
Puis un professionnel soucieux de rendre service a mis dans des rayonnages dédiés tous les romans policiers, tellement demandés aux bibliothèques municipales. Plus tard, dans quelques salles, un nouveau coin a vu le jour : celui dévolu à la science-fiction.
Mais dans les bibliothèques scolaires, devenues « médiathèques », les romans restaient toujours classés par auteur, et le lecteur qui avait envie de nouveauté marchait lentement, en crabe, la nuque tordue, essayant infructueusement de deviner quel texte se cachait sous chaque titre.
Une envie de changement
Quand on est bibliothécaire scolaire depuis trente ans, c’est parce qu’on aime le changement. Chaque jour est différent, vraiment, et si on a choisi le métier par amour de l’ordre, de l’immuable, de la stabilité de la parole écrite noir sur blanc, cataloguée, indexée, bien rangée à sa place à l’intention d’un lecteur qui sait ce qu’il veut, l’école n’est pas le bon endroit pour être heureux.
On développe alors la capacité de déceler dans chaque requête l’occasion d’inventer, d’innover, de regarder documents et lecteurs à travers toutes les facettes d’un prisme qui les révèle : l’unicité. Et cette capacité mène à s’interroger souvent sur le bien-fondé de ses propres pratiques bibliothéconomiques. Sans réinventer la roue, on modifie.
Arrive ainsi le jour où on remarque que l’ordre alphabétique n’est plus une évidence pour les adolescents. On ajoute à cette constatation le fait qu’à l’école la fiction est souvent requise selon le genre, en fonction des consignes données : « vous avez un mois pour lire un roman d’aventures (ou policier, fantastique, historique), allez en choisir un à la médiathèque ». C’est rare qu’on vienne chercher un roman en fonction de l’auteur. On se retrouve alors face à des rayonnages interminables, sans la moindre piste qui permette de trouver ce dont on a besoin.
Mais pourquoi continuer alors de classer ces milliers de romans par nom de famille de l’auteur? Pourquoi ne pas tout changer?
Vevey l’a fait!
La Bibliothèque Municipale de Vevey, Section Jeunesse, a osé le pas en 2014. Le classement par centres d’intérêt est lié en amont au travail de Bachelor réalisé en 2013 par Mélody Rossel à la HEG de Genève -conseillée par Ariane Rezzonico- travail dont la publication professionnelle Hors-Texte a parlé dans le numéro de juillet 2014.
Travail de Bachelor de Mélody ROSSEL
En juillet 2015 je parle avec la responsable du secteur jeunesse, Mélanie Esseiva, et j’apprends que le résultat de ce changement radical est très positif. Au Cycle d’Orientation aussi, les rayons sont la principale source d’accès au livre de fiction, la recherche préalable par ordinateur étant plus utilisée pour trouver des ouvrages documentaires. Les élèves viennent parfois chercher « un roman, s’il vous plaît, vite! » et plus ils sont libres de choisir, mieux ils se disposent à lire.
Tout semble alors indiquer que le regroupement des œuvres de fiction par genre pourrait avoir les mêmes effets en médiathèque scolaire : simplicité de la recherche, encouragement à l’autonomie, augmentation des découvertes d’auteurs du même genre, sentiment d’être au centre des aménagements du lieu, convivialité et gain de temps lors du butinage.
Alors, avec le soutien de ma direction, je me lance.
Une bonne décision
Quelques ans plus tard je me réjouis au quotidien d’avoir pris cette décision. Les ados se sentent désormais à l’aise face aux presque 170 mètres linéaires de livres de fiction, puisqu’ils peuvent centrer leur recherche sur un des genres proposés : AVENTURE, SENTIMENTS, VIE & ÉPOQUE, FUTURS, HORREUR, ZOO, FANTASTIQUES & Co, RIRE et POLICIERS & Co.
Quelques collègues dans d’autres Cycles d’Orientation du canton de Genève s’apprêtent à basculer prochainement. Je suis persuadée que le travail que cela implique –puisqu’il faut équiper physiquement tous les livres de fiction de l’ancien fonds avec un distinctif bien visible, et rapporter ce changement dans le catalogue informatisé– vaut la peine, et que bibliothécaires et ados s’en réjouiront.
Claudia Mendoza, 2019.