Une nouvelle époque géologique a-t-elle commencé dans la longue histoire de la Terre, une époque marquée par la domination et l’empreinte durable des activités humaines sur l’environnement planétaire ? La question est âprement débattue. Elle est scientifique d’abord et implique de déterminer quels peuvent être les marqueurs (réchauffement climatique, érosion de la biodiversité, changement d’occupation des sols et artificialisation, introduction de nouvelles substances etc.) actant l’entrée dans l’Anthropocène. Mais l’interrogation est aussi philosophique et spirituelle : que signifie, pour l’être humain et sa présence dans l’univers, le fait qu’il mette désormais en péril ce que Hans Jonas appelait les conditions d’« une vie authentique » sur Terre ? Peut-on parler d’une humanité indifférenciée, formant un seul corps agissant, quand le basculement en cours depuis plusieurs siècles est l’œuvre non pas de toutes les sociétés humaines mais d’une partie limitée d’entre elles ? Quelle(s) histoire(s) peut-on faire de l’Anthropocène dont l’origine a partie liée à la sécularisation et à l’impérialisme des sociétés européennes, au mode de production capitaliste, et à un développement technique exponentiel ? De quelle manière la critique du Ciel a-t-elle bouleversé la Terre ? Enfin, la question est éthique et politique : comment bifurquer, fermer certains mondes – incompatibles avec la préservation d’écosystèmes vivables – et en ouvrir d’autres, où une vie humaine libre puisse s’inscrire dans la biosphère sans lui nuire ?