Faire face au plagiat dans un contexte numérique

Le développement très rapide que connaît le numérique pose de nombreuses questions à l’école. Les outils d’intelligence artificielle générative, en particulier, offrent sans doute de nouvelles possibilités enthousiasmantes, mais s’accompagnent également d’un certain nombre de risques, parmi lesquels le plagiat.
Si le plagiat est un problème très ancien, il est vrai que l’IA – dans ses multiples champs d’application – est de nature d’une part à faciliter la fraude, d’autre part brouiller les pistes, tant pour les élèves que pour le corps enseignant. Ce document vise à faire le point sur l'état de la question et à esquisser quelques pistes d'action.
Version 2 – septembre 2024
1. Le plagiat en général: une définition problématique?
La définition de la notion de plagiat se révèle délicate. Il en existe plusieurs, qui peuvent varier quelque peu en fonction de l’ancrage culturel. Par ailleurs, l’appellation «plagiat» recouvre une multiplicité de pratiques. On trouvera une synthèse de cette question sur le site de Compilatio.
Dans le contexte scolaire, le plagiat est avant tout une forme de fraude. Un cadre clair est défini par la jurisprudence et par un certain nombre de documents de référence, pensés généralement pour les travaux de fin d'études. Relevons notamment le guide du DIP sur la rédaction des travaux personnels d’approfondissement ou les travaux interdisciplinaires centrés sur les projets, ou encore l'Aide-mémoire Ethique/Plagiat de la Commission suisse de maturité.
Selon ce dernier :
«Il y a plagiat lorsque des idées, des raisonnements, des formulations, etc. provenant de tiers dans un travail ne sont pas signalés comme tels, mais présentés comme la propre création de l’auteur. Il n’est pas déterminant pour qualifier un plagiat que celui-ci soit intentionnel (tromperie volontaire) ou non (par ex. s’il est dû à un oubli d’indiquer les sources).»
Trois éléments principaux ressortent :
► Présenter le travail d’autrui comme son propre travail
Il y a plagiat lorsque les idées ou les formulations d’un tiers sont reprises sans être créditées. Ceci signifie qu’une définition très restrictive du plagiat, selon laquelle il n’y aurait pas plagiat dès lors qu’il y a reformulation, est erronée.
► Faire une mauvaise utilisation des sources
Il y a plagiat lorsqu’une source n’est pas mentionnée. Par exemple, lorsqu’on reprend un texte mot à mot (avec ou sans guillemets) sans en indiquer l’origine, mais également lorsqu’on paraphrase ou reformule un document sans le mentionner, qu’on emprunte une ou plusieurs idées à autrui sans y faire référence, recourt à la traduction d’un texte sans en indiquer la source, utilise une source en renvoyant à une autre source que celle réellement utilisée, etc.
Dans un contexte numérique en ébullition, les règlements et autres documents cadres précisent toujours que la liste des pratiques frauduleuses n’est pas exhaustive.
► L’intentionnalité n’est pas un critère
Le caractère volontaire ou non du plagiat n’est en principe pas déterminant. En cas de problème, l’absence d’intentionnalité est d’ailleurs impossible à démontrer. En principe, un oubli ou une maladresse devraient donc entraîner la même sanction qu’une fraude volontaire. Ceci dit, dans un contexte scolaire, il est évident que ce principe doit être appliqué de manière progressive. Les attentes envers les élèves ne seront pas les mêmes selon le niveau d’avancement dans le cursus de formation.
Par ailleurs, le bon sens doit toujours prévaloir dans la pratique, car les cas limites sont nombreux et inévitables. C’est notamment le cas des informations dites de «notoriété publique», une notion qui est elle-même assez relative. Il n’est bien sûr pas question de demander le référencement de chaque information de sens commun.
2. Et l'IA générative?
Présenter comme sien un texte produit par un outil d’intelligence artificielle est une fraude. Prétendre que cela ne constitue pas un plagiat sous prétexte que l’IA n’est pas à proprement parler un auteur ou une personne est un sophisme. Ici encore, l'Aide-mémoire Ethique/Plagiat de la Commission suisse de maturité fournit un cadre clair:
«[…] les travaux de maturité commandés à des tiers (ghostwriters) ou élaborés à l'aide de programmes d'intelligence artificielle, mais présentés comme étant les siens, sont également considérés comme du plagiat.»
Ceci ne signifie évidemment pas que tout usage de l'IA constitue un plagiat. Les guides des différents types de travaux de fin d'études définissent désormais les usages licites et proscrits. En dehors de ces travaux, l'explicitation des règles en la matière est du ressort du corps enseignant et des direction
3. La détection du plagiat
Il est vrai que le contexte numérique dans lequel nous évoluons ne va pas sans un certain flou dans les notions de source, d’auteur ou de propriété intellectuelle. Il rend le plagiat plus facile et probablement plus tentant. En réaction, l’utilisation d’outils numériques de détection du plagiat tels que Compilatio s’est généralisée, au degré secondaire comme au tertiaire. Les enseignantes et enseignants du secondaire II ont accès à Compilatio tout au long de l'année via le portail eduge.ch et peuvent tester n'importe quel travail rendu sous forme numérique. Cet outil est aussi utilisé systématiquement pour les travaux de fin d'études des différentes filières.
Compilatio détecte très bien les emprunts à partir de sources en ligne. Il établit, sur cette base, un score global exprimé en pour-cent et un rapport plus détaillé, dans lequel les passages concernés sont mis en regard des sources identifiées.
Toutefois, l'expérience montre qu’on ne devrait pas se fier trop aveuglément à ce score. Saviez-vous, par exemple, que les citations, même correctement référencées, peuvent être comptabilisées par défaut dans le taux calculé? Il est donc important de comprendre le fonctionnement de ce logiciel et de savoir le paramétrer.
D'autre part, il n'est pas impossible de tromper la vigilance de cet outil en ayant recours à diverses stratégies. Le perfectionnement et la démocratisation des outils d’intelligence artificielle ont suscité de nouvelles pratiques, difficiles à déceler. Des services en ligne souvent gratuits proposent de reformuler, de résumer, de paraphraser et bien sûr de traduire n'importe quel texte : article académique trouvé sur un portail comme Google Scholar ou Cairn, travail «emprunté» à des tiers, etc. Certains sites proposent même de tester si le résultat passe la rampe des outils de détection.
Depuis le 1er septembre 2024, le corps enseignant du Secondaire II a accès à une nouvelle version du logiciel de Compilatio, appelée Magister+. Celle-ci décèle relativement bien les textes produits par un outil d’intelligence artificielle. Pour ce faire, Magister+ procède à une analyse stylométrique qui repose elle-même sur l’intelligence artificielle. Par ailleurs, Magister+ repère le plagiat par traduction de manière plus performante que par le passé. Cependant, il est important de souligner que le plagiat par recours à l’IA ne peut pas être démontré à 100%, contrairement à des pratiques plus classiques. Le rapport produit par Magister+ indique que le taux repéré n’a pas valeur de preuve.
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Il n'est donc pas recommandable de se reposer uniquement sur une approche quantitative définie par un score chiffré. La vérification devrait être accompagnée d'une approche qualitative à travers l’analyse plus précise des rapports produits, par exemple en comparant les notes en bas de page aux sources identifiées par Compilatio, ou en procédant à d’autres vérifications « manuelles », par recoupements, etc. Bien évidemment, le suivi des élèves et des travaux dans la durée va jouer un rôle déterminant pour prévenir et détecter les formes plus insidieuses de fraude.
Lorsqu’il y a soupçon de plagiat, en particulier par recours à l’IA, il est recommandé de vérifier si l’élève maîtrise la matière.
4. Les suites
L’application de sanctions suite à un plagiat est du ressort de la direction des établissements. En cas de soupçon suffisamment important ou d’un cas avéré, il convient donc d’aviser sa hiérarchie compétente.
5. Prévenir le plagiat par la pédagogie
A l'heure qu'il est, la meilleure stratégie pour se prémunir contre le plagiat consiste à éviter d'évaluer uniquement la version finale d'un travail écrit qui aurait été réalisé à domicile. Il est recommandé de renforcer l'accompagnement et le suivi de l'évolution des travaux.
Par ailleurs, il est plus important que jamais de sensibiliser les élèves au plagiat et de développer des approches préventives. Il peut valoir la peine de s’interroger sur les causes du plagiat, au-delà d’aspects intuitivement évidents, comme la volonté d’obtenir de meilleurs résultats et l’économie de temps ou d’effort. Selon Martine Peters, professeure à l’Université du Québec en Outaouais et directrice de la recherche du Groupe de recherche sur l’intégrité académique (GRIA), les élèves plagient aussi par manque de connaissances.
Ces connaissances sont de quatre ordres:
- Compétences informationnelles: les élèves ont des difficultés à mener des recherches bibliographiques efficaces.
- Compétences rédactionnelles: les élèves ne savent pas toujours, lors de la rédaction elle-même, citer ou paraphraser adéquatement leurs sources.
- Compétences de référencement documentaire: les élèves ont de la peine à référencer correctement les sources utilisées (notes en bas de page ou appels de citation, bibliographie).
- Connaissances relatives au plagiat lui-même: bien souvent, les élèves ne sont pas suffisamment au clair sur ce qu’est le plagiat exactement.
Selon elle, pour lutter efficacement contre le plagiat, il faudrait donc renforcer les compétences des élèves dans ces quatre domaines en proposant des activités de prévention en classe. Dans cette optique-là, il faudrait mobiliser des enseignantes et enseignants de plusieurs disciplines pour accompagner les élèves dans l’acquisition progressive et méthodique de ces compétences par le biais d’activités spécifiques. Les bibliothécaires scolaires, qui proposent d’ores et déjà des ateliers de compétences informationnelles aux élèves, ont également un rôle clé à jouer. Enfin, le fait d’apprendre à utiliser des outils de gestion des données bibliographiques, tels que Zotero ou ZoteroBib, peut être très formateur également dans le cadre des travaux de fin d’études.
6. Encourager des usages responsables
Au-delà du problème d’intégrité que représente le plagiat, une mauvaise utilisation de l’IA peut amener les élèves à déléguer purement et simplement les tâches traditionnelles des différentes disciplines. Avec comme résultat de vider le travail demandé par les enseignantes et enseignants de son sens, à savoir l’entraînement en vue d’acquérir et consolider des compétences.
Il n’est évidemment pas question de proscrire l’usage de l’intelligence artificielle, ce qu’on serait d’ailleurs bien en peine de faire appliquer. La Direction générale de l’Enseignement secondaire II a émis en août 2024 des lignes directrices définissant les usages de l’IA. Ces lignes directrices peuvent être interprétées comme une invitation à expérimenter et surtout à développer des usages responsables de l’IA. C’est un vaste chantier qui s’ouvre et qui dépasse largement la problématique de la prévention du plagiat.
Ressources complémentaires
- Usages scolaires des outils d’intelligence artificielle à l’ESII - Communication aux élèves, aux apprenties et aux apprentis
- Formation Magister+
- Formation proposée par le service écoles-médias: Prévenir le plagiat dans les travaux d’élèves
- Formation proposée par le service écoles-médias: Enseigner la recherche documentaire sur Internet
- Quels usages concrets de ChatGPT dans l’enseignement?